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Jean Lowies

Correspondant de la revue Ucclensia du Cercle d’Histoire d’Uccle-Bruxelles

 

L’ ART DES JARDINS

selon Jules BUYSSENS et Édouard ANDRÉ




Réalisés voici un siècle ou davantage, dans des communes de la Région de Bruxelles, des parcs et jardins, attestent d’une envolée créatrice dans l’art des jardins de même que de l’engagement imparable de leurs acteurs. Lieux de vie du passé, faiblement évoqués dans les livres d’histoire, toutefois héritage culturel, ils se doivent d’être remis en mémoire. Si leur sauvegarde paraît assurée, en dépit des ravages du temps, un surcroît de sollicitude devrait susciter une avancée et leur mise en valeur.

 

À l’école d’horticulture


Les élections nationales de 1884 portèrent au pouvoir un gouvernement qui résolut d’interdire aux communes l’organisation de l’enseignement. Plusieurs villes et communes, dont Bruxelles, s’y opposèrent et tinrent bon. À Waermaerde, (intégrée à la commune d’Avelgem en 1977), en Flandre à la limite du Hainaut (environ 800 habitants à l’époque) les époux Charles BUYSSENS et Marie Alexis, durent abandonner leur fonction d’enseignants. Victimes des « hommes noirs » (Pourquoi pas ? - 22 juin 1934, couverture et éditorial consacré à Jules Buyssens), ils gagnèrent Gand. Leurs deux jeunes garçons y fréquentèrent l’École d’horticulture de Gentbrugge et terminèrent leurs études avec brio, en 1889, pour Adolphe, né en 1869 et en 1890, pour Jules, né en 1872. Leur itinéraire professionnel témoigne d’une belle ardeur.

 

Adolphe BUYSSENS


Après l’école, l’ainé se perfectionne dans le secteur privé. Jardinier en Allemagne, en Angleterre et en Suisse, il accède à une fonction de responsabilité en qualité de jardinier en chef à l’École cantonale d’horticulture de Châtelaine, près de Genève, fondée en 1887. Au cours d’excursions, son attention est attirée par de petites espèces alpines habiles à insinuer leurs racines dans les interstices rocheux. Assisté en cela par Henri Correvon, éminent botaniste suisse, son intérêt pour la flore alpine s’en trouvera accru. En compagnie de son épouse, Anna Merlin, (1873-1954), de nationalité française et, comme lui, de foi protestante, il regagne Gand. Pendant 6 ans, éloigné des œuvres symétriques et grandioses, il dirige le jardin d’hiver, fougères, orchidées et palmiers, du comte Oswald de Kerkhove de Denterghem (1844-1906), avocat, député libéral, sénateur, président et membre de diverses sociétés de botanique. Il contribue à développer les Floralies de sa ville et publie Les Palmiers, 1878, Autour de mon jardin, 1887 et Le Livre des orchidées, 1894. Sa serre principale mesure 50m x 20m x 14m. Le roi Léopold II tient même à en visiter l’installation. La fille du comte, Marthe, (1877-1956), personne remarquable, féministe, emprisonnée en forteresse en Allemagne pendant la première guerre, fonde les Girl Guides de Belgique en 1919, aussi la Fédération des femmes libérales et présida nombre d’autres associations
Adolphe BUYSSENS enseigne ensuite la floriculture et l’art floral à l’école d’horticulture de Vilvorde.


 

Publications


Il collabore à la tribune agricole et au bulletin du Nouveau Jardin Pittoresque. Le premier livre d’Adolphe Buyssens paraît en 1897, année de naissance de son fils Paul : Culture des fougères exotiques, publié chez G. Doin, librairie agricole à Paris. Madame Schoutheden-Wéry, (1879-1954) botaniste, élève de Léo Errera et collaboratrice de Jean Massart, affirme des fougères indigènes que « ce qui fait surtout la beauté des sous-bois en été, ce sont les admirables dentelles des fougères fraîches dans la douce lumière tamisée par les cimes si feuillées. » (René Stevens, La forêt de Soignes, Van Oest, Bruxelles, Paris, 1920, p.237). Les fougères se plaisent, en effet, à la mi-ombre, aiment la fraîcheur et un sol acide. On les considère avec déférence car de nombreuses plantes fossiles sont des fougères. Charles Darwin les découvre, arborescentes, en Tasmanie, « dans les ravins humides, d’une hauteur de 7 mètres environ et d’une circonférence de 1,80 mètre », « les branchages forment des parasols très élégants ». (Voyage autour du monde, La Découverte, 2003, p.480). Il décrit aussi des fougères volubiles dans Les Mouvements et les habitudes des plantes grimpantes. (Reinwald, 1877, p.49)

Ses ouvrages ultérieurs sont publiés à Bruxelles, chez De Boeck, rue Royale, 265.
Le Petit Jardin fleuri. Manuel de floriculture de plein air à l’usage des amateurs de fleurs, deux éditions, 1899, 238 pages et 1949, 232 pages.
La Maison fleurie. Traité des plantes à fleurs acculturées aux appartements, fenêtres, balcons, terrasses, vestibules, suspensions, vérandas, serres et toitures, 115 pages.
Floriculture. Pour professionnels et amateurs. Ce manuel de 756 pages, apprécié, a connu 4 éditions de 1909 à 1933. Une réédition, mise à jour, a paru à Lausanne, chez Payot, en 1970.
Plantes bulbeuses. Préface de son frère Jules, 1936.
Plantes vivaces. 134 figures dans le texte, 1937, 250 pages.
Plantes curieuses. Illustré, dont orchidées, 1944, 84 pages.  

 

Le mur de soutènement


Le mur de soutènement est un apport original de l’époque. Qu’il soit recherché par les lézards amateurs de pierres chauffées par le soleil n’est pas le moindre de ses mérites. Son rôle consiste souvent à contenir une butte faisant place à une allée, comme celui remis à neuf dans le jardin de la maison van Buuren, à Uccle. Un mur efficace exige une bonne épaisseur, monté de pierres brutes ou taillées, non rejointoyées par un mortier. Les plantes aptes à s’y développer, poussent leurs racines dans les espaces creux à la recherche d’humidité. Dites saxatiles, elles se sèment par deux graines intégrées dans une boulette de bonne terre humide à insérer dans un interstice.


 

Le jardin alpin


Dans son substantiel ouvrage, Floriculture, A.B. nous met au fait d’une contribution de l’époque qui ne suscite plus guère d’égards de nos jours. Qu’en dit-il ? « Le jardin alpin est consacré à la flore des Alpes donnant au terrain la forme et l’aspect des montagnes » (p.103). Il préconise d’agréger les éléments suivants : « rochers, rocailles, sources, ruisselets, ponts rustiques, gués, cascatelles, petits lacs, marécages, pâturages, plantes de diverses régions et stations. » Rien de moins ! « Là où le mouvement de terrain le permet, l’aménagement de cascades et de cascatelles augmente beaucoup le pittoresque du site. » (p.135). « Cernées de pierres plus ou moins isolées auxquelles se mêlent la terre et les plantes, voici les rocailles. On s’efforce de donner aux pierres un aspect pittoresque et naturel, mais la chose est assez difficile lorsqu’on ne dispose que de pierres détachées, à moins d’en avoir de très grandes. » (p.111).  La vogue du jardin alpin, eut pour effet que la survie de nombre d’espèces indigènes alpines fut mise en péril, dont l’edelweiss, plante d’altitude recouverte d’un duvet blanc (weiss= blanc). Une association pour la protection des plantes fut fondée en Suisse dès l’année 1883 et divers cantons du pays prirent des mesures pour entraver les arrachages printaniers promis au commerce.

 

La Suisse à la mode


La mode du jardin alpin se fondait dans un engouement résolu pour les stations d’été en Suisse. Des éléments de la société européenne, bourgeois et aristocrates, fascinés par les Alpes, y accueillirent leurs larges familles dans des résidences de campagne. Géographes, écrivains et artistes suivirent le courant et firent le voyage. Des alpinistes, terme créé en 1874, gravirent les massifs, faisant donc de l’alpinisme, créé, lui, en 1876. Il naquit également une peinture pittoresque mettant en scène montagnes majestueuses, lacs tranquilles, vallées paisibles, forêts verdoyantes et cascades. L’avènement de l’industrie touristique entraina le tracé de voies de chemins de fer et la publication de jolis guides de voyage déployant en double page d’interminables panoramas montagneux, toujours spectaculaires.

 

Jules BUYSSENS (1872-1958)


Ses débuts dans la vie active, à Francfort et à Londres, vont l’initier à la culture en serre de plantes exotiques et d’orchidées, secteur horticole s’adressant aux collectionneurs. Dans son ouvrage L’Intelligence des fleurs, Paris, 1928, p.58, Maurice Maeterlinck fait mention de ces plantes hors normes, symboles de perfection et de pureté : « C’est parmi les orchidées que nous trouvons les manifestations les plus parfaites et les plus harmonieuses de l’intelligence végétale. En ces fleurs tourmentées et bizarres, le génie de la plante atteint ses points extrêmes et vient percer, d’une flamme insolite, la paroi qui sépare les règnes. »
La recherche actuelle réfute que les plantes n’opèrent que par adaptation et leur reconnait un comportement manifestant non seulement une sensibilité réactive aux impacts extérieurs, mais aussi une résistance aux agressions animales, dite aussi résilience, par la sécrétion d’une hormone de défense. Aussi plusieurs modes de communication et une intelligence dans le mouvement des racines. Notre écrivain faisait donc preuve d’un regard finement observateur. Avant lui, Goethe (1749-1832), aussi romancier, publie, dès 1790, Les Métamorphoses des plantes et autres récrits botaniques. Il y met en avant leur calme et incontestable ingéniosité. Plus précis, Charles Darwin, écrit en collaboration avec son fils Francis en 1880: La Faculté motrice dans les plantes, (Reinwald, 1882, p.581). Il conclut que la pointe radiculaire « reçoit les impressions des organes des sens et dirige les divers mouvements », et « agit comme le cerveau d’un animal inférieur ». Après ses séjours en Allemagne et en Angleterre, en 1890-1892, J.B. poursuit et affine son expérience dans la culture en serre jusqu’en 1894 à Saint Barnabé lez Marseille, alors village, aujourd’hui intégré à la ville. Ensuite, il rejoint Gand et son ancien professeur Ed. Pynaert, (1835-1900) éminent pomologue, botaniste et arboriculteur. Aussi entrepreneur, il délègue J.B., pour la création de parcs et de jardins, à Kislowodek, ville du Caucase, sur la Volga, en Russie où il reste à pied d’œuvre pendant un an et demi de 1894 à 1896. À l’issue de ses premiers emplois, il maitrise vraisemblablement les rudiments des trois langues dans lesquelles il eut à œuvrer. Ami d’Ed. Pynaert, Edouard André, entrepreneur à Paris, en tient compte en enrôlant Jules Buyssens de 1896 à 1902.

 

ÉDOUARD ANDRÉ (1840-1911)


Elève jardinier, il se perfectionne en botanique auprès de Joseph Decaisne (Bruxelles 1807-Paris 1882), directeur du Museum d’histoire naturelle. À 20 ans, en 1860, il planifie les jardins parisiens sous la direction du baron Haussmann. En 1879, il publie son Traité général de composition des parcs et jardins, ouvrage réputé et recherché. Il avait renoncé à sa fonction de chef de service des plantations suburbaines de Paris, mis sur pied son entreprise d’architecte paysagiste et créé La Revue Horticole, de présentation austère et à la mise en page serrée. Elle comptait des collaborateurs de haut niveau tels Charles Naudin, spécialiste de l’hybridation et de l’acclimatation, Georges Truffaut, initiateur de l’envoi postal de catalogues, qui implanta une chaine de magasins, aussi M.-L. de Vilmorin et Henri Correvon (1854-1939), botaniste vaudois et spécialiste de la flore alpine. Signalons la proximité d’Ed. André avec A. Pailleux et D. Bois, auteurs du très apprécié Potager d’un curieux édité par La Maison Rustique, en 1885 et 1892, traitant de 200 plantes hors du commun et comestibles. La firme, au service de la Revue Horticole, spécialiste européenne de reproduction en chromolithographie de planches de botanique et d’histoire naturelle, a pour enseigne J.L. Goffart, rue du Progrès, 181, Bruxelles.

 

« Une intéressante excursion »


C’est sous ce titre que La Revue Horticole du 16 juillet 1898 nous apprend de Paris que les élèves de dernière année de l’École d’horticulture de Versailles, où Edouard André enseigne le paysagisme, firent un déplacement en Belgique, du 18 au 23 juin. A Bruxelles, ils visitèrent divers établissements, le jardin d’hiver et les serres de monsieur Linden, les serres à orchidées de monsieur Peeters, les serres de monsieur Charlier où prospèrent pêchers et tomates, le Jardin botanique, le Bois de la Cambre et les promenades de la ville. Nous n’en savons pas plus sur les personnes citées mais la visite française, à l’organisation de laquelle les deux frères ont peut-être apporté leur concours, atteste des dispositions des professionnels bruxellois et de la qualité de leurs relations avec leurs collègues parisiens. Peut-on souligner d’ailleurs les rapports étroits prévalant entre les personnes savantes évoquées ici quoiqu’elles soient originaires de plusieurs pays ? Comme si, entre eux, l’Europe s’était déjà reconnue.

Revue horticole du 16 juillet 1898, Quincaillerie horticole.
La visite en Belgique de l’École d’horticulture de Versailles où enseigne Édouard André y est mentionnée


 

Conducteur de travaux


Edouard André séjourne en Lituanie à la requête du comte Félix Tyszkiewicz et écrit un article intitulé Les plantes et les bordures dans le nord de l’Europe dans le numéro du 1er juillet 1898 de la Revue horticole. Il confie la conduite de travaux, marque indéniable de confiance, au mordant Jules Buyssens, jeune homme de 26 ans. L’expérience liminaire caucasienne aura été un utile précédent. Pendant un an et demi, de 1898 à 1900, J.B. assume la création du parc de 70 ha du palais de Palanga, localité située sur la côte de la mer Baltique, en Courlande, comptant alors 2419 habitants. Il y étudiera aussi un projet de station balnéaire. Le parc fait voir, encore à ce jour, 150 espèces d’arbres et arbustes, le palais est devenu musée et la station balnéaire attire du monde. Il est possible qu’il ait pris en charge aussi le parc du manoir d’Uzutrakis, au bord du lac de Galves (Galvè), près de la ville de Trakai. En France, il consacre huit mois à la transformation du parc de monsieur de Bonneville à Gretz, à l’est de Paris. Pour le comte Joseph Tyszkiewicz, (1868-1917), Trésorier du Grand-Duché de Lituanie et frère du précédent, il crée le parc du château de Lentvaris (anc. Landwarov), près de Vilnius, la capitale,  pendant une durée de sept mois. À Vailly sur Aisne, à l’est de Soissons, pour monsieur Proffit, il conduit les travaux du parc pendant huit mois. Sur l’île de Jersey, à Saint Aubin, il crée le parc de W. Garnier pendant trois mois. A 7 km de Concarneau, à Kerminaouët, commune de Trégunc, au Finistère, il crée pendant trois mois, le parc de 53 ha, pour le vicomte Ferdinand de Lalande de Calan, dans une propriété incorporant un manoir, une chapelle, un pigeonnier, des étangs, un lavoir et un cours d’eau animé par des cascades. (Archives de la Ville de Bruxelles)

 

À Rilly la Montagne, le château des Rozais


Sur une colline proche de Reims, Jules Buyssens assume la maintenance du parc de 6 ha appartenant à madame Louise Pommery (1875-1947). Son créateur, Edouard André, en fait une brève description dans l’ouvrage de Vilmorin-Andrieux, Les Fleurs de pleine terre, somme d’érudition de 1374 pages, publié en 1894, mis en vente à l’époque aussi à Bruxelles. Il y énumère « les attractions dues à l’Art des Jardins » : « chemins creux et ravins sont franchis par des ponts rustiques ; une pièce d’eau s’entoure de rochers en falaises de 12 mètres de hauteur accompagnés de gros blocs roulés sur les pentes. Ces roches sont garnies de plantes sarmenteuses, grimpantes et saxatiles ; un jardin alpin, une grotte garnie de fougères à
l’extérieur et à l’intérieur, un kiosque rustique dominant le grand promontoire rocheux ; un rosarium de plusieurs centaines de rosiers réunis devant une pergola treillagée couverte de rosiers grimpants ; une grande volière d’oiseaux d’ornement ; un lawn-tennis sur gazon ; l’organisation d’une serre jardin d’hiver a été réservée dans le château même. » (p.1208).
Le château, construit en 1879, a été démantelé. Subsistent les écuries, les communs et la chapelle. Le village voisin se nomme Chigny les Roses; sa chorale a pris pour nom La Roseraie; rues et vignes sont décorées de roses, vivaces et fières, n’étant pas dépourvues d’épines.

 

Une inspiration champenoise


Dans sa description, Edouard André cite « une pièce d’eau s’entourant de rochers en falaises de 12 m de hauteur accompagnés de gros blocs roulés sur les pentes » et « un kiosque rustique dominant le grand promontoire rocheux », de forme circulaire sur son plan. Il se fait que le « rocher » du parc de la Sauvagère est analogue à son tableau : la falaise, les blocs roulés, la levée de terre pour promontoire et le kiosque, de l’italien « chiosco » désignant un pavillon, et rustique, en architecture, signifiant dénué d’ornement, (vocabulaire de Wailly, 1811) Le pavillon en surplomb présente aussi une colonnade de forme circulaire. Elle est inspirée du monoptère grec à usage religieux ou funéraire. On en construisit, couverts d’un dôme, de tous côtés, en Europe, au 19e siècle.
Ce n’est pas une hypothèse grandement hasardée que d’avancer que Jules Buyssens, s’étant frotté à la falaise de Rozais, s’en soit souvenu pour mettre en place, en 1910, celle de la propriété privée devenue Sauvagère.
L’œuvre de BUYSSENS, approchée, y gagnerait si un intervenant qualifié pouvait rénover le pavillon. Dans les anfractuosités des rochers, prévues à cet effet, devraient être implantées, des variétés à fleurs, peut-être, blanches et bleues. La pièce d’eau aspire visiblement à être curée. La vérification de son étanchéité serait opportune. La vase déposée sur la berge et le rebord, y accueillera, sur plusieurs mètres, des plantes vivaces. Limnées, mollusques divers, plusieurs litres d’eau d’un étang à biotope équilibré devraient bonifier l’eau neuve accueillant aussi plantes immergées et émergées. Des galets de rivière ou autre revêtement et les plantes vivaces réduiront l’accès en berge à une ou deux personnes. Rappelons que, dans un parc, « le rôle des arbres isolés est fondamental ». Ceux d’entre eux qui sont remarquables, gagnent à être dégagés des espèces qui masquent les perspectives vers le sud. La mise en valeur des rochers de l’étang d’Ixelles et du Bois de La Cambre, pourrait aussi être menée à bien.


 

 

Des fleurs partout


La redécouverte des jardins et des fleurs touche diverses professions artistiques. Des peintres sur le motif de l’époque s’adonnèrent à représenter objectivement l’ondulation des couleurs. Parmi elles et eux, Anna Boch (1848-1933), rue de l’Abbaye à Ixelles, peint des bouquets et des paysages. Juliette Wytsman (1860-1929), à Linkebeek, représente des bordures et des massifs fleuris. Auguste Oleffe (1867-1931), à Auderghem, traduit des scènes familiales au jardin. Jean Vanden Eeckhoudt (1875-1946), peint « Tel morceau de la nature, ombellifères, eucalyptus, pêchers en fleurs, saisi sur le motif » (Philippe Roberts-Jones, Signes ou Traces, A.R.B., 1997, p.311). La passion pour la nature se répand dans les milieux de l’art décoratif où la connaissance du monde floral se développe. Sur les affiches et compositions de Privat- Livemont à Schaerbeek et Adolphe Crespin à Saint Josse, fleurissent des modèles féminins. Les vases avec représentations florales stylisées de Charles Catteau, à La Louvière, sont célèbres. L’imprimerie orne ses lettres majuscules de décorations végétales. L’architecte ucclois, Léon Sneyers, (1877-1949) ouvre un magasin de décoration 9, rue de Namur où il met en vente tentures, rideaux, nappes, étoffes et papiers peints ornés de frises ou arborant des fleurettes légères et élégantes. La photo popularise les créations de ces novateurs.

Autour de la maison des fleurs, Illustration & Les Arts décoratifs, lettrines, p.97

 

Inspecteur des plantations


Le décès de Louis Fucks (1818-1904), créateur du parc Léopold, toujours en fonction à l’âge de 86 ans, rend vacante la charge d’inspecteur des plantations et des promenades publiques de la Ville de Bruxelles, car il était loisible au public de se promener à Bruxelles ! Marié, J.B. s’est installé à Bruxelles en 1902. Il réagit à l’appel public lancé par la Ville pour désigner un successeur à Louis Fucks. Dix autres candidats en font autant dont une poignée sont chaudement recommandés par des personnalités politiques ou privées. On imagine sans peine les échanges animés émaillant les réunions du Collège échevinal qui se prononce pour BUYSSENS. Ce dernier exerce la fonction du 28 juin 1904 au 31 décembre 1937. (Archives de la Ville de Bruxelles).

 

Domaine privé


Jules Buyssens va poursuivre sa collaboration avec Ed. André (qui se retire en 1906 et décède en 1911) ainsi qu’avec son fils René (1867-1942). Entre 1903 et 1911, pour la comtesse de Pourtalès, il trace les plans du parc de 24 ha du Château de Robertsau dont la Ville de Strasbourg est actuellement propriétaire. Buyssens intervient, pour la baronne de Berckeim dans l’aménagement du parc de 43 ha de Shoppenwihr, près de Colmar et du parc du château de Riesack, de monsieur Mellon, à Niederbronn. En 1909, il aménage pour le baron Albert de Dietrich le parc de 9 ha du château de la Léonardsau, propriété désormais de la Ville d’Obernai. (Les Amis de la Léonardsau et du Cercle de Saint-Léonard).
Par ailleurs, madame Vaiva Deveikiene, professeur à l’université de Vilnius et présidente de l’association des architectes paysagistes de Lituanie et monsieur Stepanas, Deveikis, dans Recherches sur le développement historique et artistique des parcs lituaniens révèlent que J.B. a été actif à Palanga et à Lentvari, en 1904.

 

À la tâche


Avec la création de parterres fleuris et de corbeilles, buttes circulaires ou oblongues présentant des cordons parallèles de plantes fleuries étagées jusqu’au sommet, J.B. va mettre l’accent sur le décor floral, présentant des variétés nouvelles reproduites dans les serres et les pépinières de la ville. Dans le Bulletin de la Ville de Bruxelles (1909), il fait état, à cette fin, de l’achat de « 44 500 nouveaux pots à fleurs ». Il décrit un circuit court dans le même bulletin : « le fumier des chevaux des pompiers, enlevé au fur et à mesure de sa production, est conduit aux serres en vue du chauffage des couches et de la formation de terreau, néanmoins, 473 charrettes de terreau ont dû être achetées cette année, de même que 75 charrettes de terre de bruyère » (p.603). Les interventions du service des plantations sont nombreuses. Notons les semis en serre, la mise en pépinière, les plantations et l’entretien des jardins, des parcs, des places publiques, la tonte des pelouses, la taille des haies, des lisières, des jeunes arbres, les élagages, la protection des plantes contre le gel et la sècheresse, le comblement des fondrières, le désherbage, le traitement des feuilles mortes et le dégagement des chablis. Toutes choses qui se conduisent à bonne fin avec le concours de personnels courageux justement rétribués.
Ayant mené une enquête dans une quinzaine de villes européennes, J.B. en conclut que « Bruxelles est l’une des villes d’Europe qui dépense le moins pour l’entretien de ses plantations publiques par rapport à la surface de ces dernières et au nombre de ses habitants. » Nous ignorons si son enquête publiée dans le bulletin communal eut quelque résultat.
J.B. mit en œuvre, en 1930, la restauration des jardins de l’abbaye de la Cambre et y implanta des espèces exotiques. Cédé d’initiative, parmi d’autres, par le roi Léopold II, le parc d’Osseghem, sur le plateau du Heysel, compte 17 ha. J.B. y installe, en 1927, un théâtre en plein air pour 3000 spectateurs. Christine, pseudonyme de Paul André, journaliste au quotidien Le Soir, avait écrit le 13 août 1908 « Il est, par exemple, étonnant que nous ne possédions pas encore un de ces théâtres en plein air comme il s’en inaugure sans cesse ailleurs dans le pays. » Il crée aussi un étang, un petit bassin oblong et d’autres réalisations florales pour l’exposition de 1935, succès personnel aussi.


 

Activités privées


Il était licite d’exercer à la fois une fonction publique et une activité privée,  ce dont J.B. ne s’ est pas abstenu. Le petit dénombrement qui suit est à titre exemplatif et n’est en rien exhaustif : les jardins de la villa van Buuren, de monsieur Baelde, au Vivier d’Oie, de la villa Les Hirondelles à La Hulpe, avec Jean Massart, il conçoit le Jardin expérimental à Auderghem, il crée le parc Tournai-Solvay, à Boitsfort, en 1911 et 1924, et y plante des sequoias, des cèdres et des hêtres pourpres, le parc Astrid à Anderlecht, en 1928 et 1948, le parc du comte Goblet d’Alviella, à Court Saint Etienne, en 1911, le parc du château de Réthy, 30 ha, le parc du château de Ronchinne, à Maillien en Condroz namurois, en 1912, pour le prince Victor Napoléon, le jardin du pavillon belge à l’exposition des Arts Décoratifs de Paris, en 1925.

 

Le Nouveau Jardin Pittoresque


Association de passionnés de jardins, le N.J.P. distribue à ses membres un bulletin trimestriel en corrélation avec les métamorphoses de la vie végétale et du défilé des saisons, lesquelles dictent les travaux au jardin. En deuxième page de couverture, il annonce dans un programme résumé, sa volonté de « lutter contre la banalité de la plupart des jardins existants en y introduisant plus d’Art et plus d’éléments appartenant à la Nature. » Le N.J.P. met sur pied des « échanges de graines de plantes et des achats en commun », possède « une bibliothèque et une vaste collection de documents iconographiques », choses neuves pour l’époque.

 

En mouvement !


Conférences avec projections, visites de sites et de jardins, leçons pratiques et expositions, toutes mentionnées dans le rapport annuel, sont au nombre des 35 activités organisées, en 1932, par le N.J.P. pour ses membres. Relevons : visites du Jardin botanique, du Jardin expérimental Jean Massart, de l’arboretum de Tervueren, de la Forêt de Soignes sous la conduite de René Stevens, secrétaire de la Ligue des Amis de la Forêt de Soignes, du jardin de Louis Solvay, journaliste culturel et écrivain, à Woluwé Saint Pierre (il sera emprisonné par l’occupant pendant la première guerre), une conférence de madame Schoutheden-Wéry, sur Le réveil printanier des plantes. En 1936, se visitent le jardin de Jules BUYSSENS: murs fleuris, plantes alpines et vivaces, arbustes fleuris au n° 14 de l’avenue de Foestraets et chez son voisin, le notaire Delwart, une rocaille fleurie, chez monsieur Descamp, avenue Hamoir, 26, les floraisons printanières. Le Cercle organise aussi une exposition de fleurs, fruits et légumes au Vivier d’Oie et, plus tard, au Vert Chasseur.
Nous apprenons qu’absorbé par ses projets au parc d’Osseghem et l’exposition universelle de 1935, J.B. s’est trouvé indisponible pour le N.J.P. et que c’est madame L.J.B. qui « dirige presque tout notre programme d’activités et assure le service des conférences, organise les excursions, réunit à temps, la matière pour notre intéressant bulletin et en surveille l’impression et l’expédition ». L’illustration de la page de couverture est sans doute aussi son œuvre, son initiale, L pour Lisette, en bas, à droite, en fait foi. Avec les illustrations de Paul, fils d’Adolphe, elle a publié en 1923 et 1933, Autour de la maison des fleurs, où interviennent aussi des enfants, des poules, des oies, des chèvres, des chats et un chien.


 

Ciel menaçant


Résultant de la crise boursière américaine de 1929, la période « entre les deux guerres » (1919-1939) endure une Grande Dépression économique pendant dix longues années. Elle se double de l’ascension de régimes totalitaires dans certains pays européens : en 1920, en URSS avec Staline, en 1922, en Italie, avec Mussolini, en 1933, en Allemagne, avec Hitler et en 1936, en Espagne avec Franco. « Beaucoup estiment, d’ailleurs, à raison, que si nous avions réagi plus tôt, par une guerre, précisément, nous aurions pu vaincre plus vite Hitler et éviter des dizaines de millions de morts. » (Nicolas Tenger, chargé d’enseignement, International public affairs, Sciences politiques, Sorbonne, The conversation, 12/02/2020).

 

Cultiver son jardin


Manifestation créatrice et moderne, l’aventure du N.J.P. constitue une étape décisive dans l’art des jardins et s’inscrit très concrètement dans la foulée de cet homme remarquable qu’était le prince Charles Joseph de Ligne. Pour la sensation et le plaisir des yeux, des jardiniers mêlent des espèces fleuries, ne s’associant pas spontanément, dans un décor paysager à l’image d’un peintre choisissant ses couleurs destinées à représenter l’objet de son tableau. C’est évidemment à dessein que le terme pittoresque fut adopté, puisque dérivant de l’italien pittore signifiant peintre. Gustave Flaubert défend le même concept « L’art est une représentation, nous ne devons penser qu’à représenter. » (Lettre à Louise Colet, 13 septembre 1852, La Pléiade, Correspondance, T.2). Au cours de ces années de crise, la prééminence du style de parc mixte connut donc un repli dans l’évolution des jardins. Des parcs de grands propriétaires fonciers, souvent bourgmestres de village, furent convertis en prairies pour le bétail, d’autres, démembrés en lotissements. J.B., président de l’association belge des architectes de jardin, écrit dans le N.J.P., en automne 1937 : « les grandes et même les moyennes propriétés sont actuellement abandonnées »… « mais on peut faire de l’art raffiné sur quelques mètres carrés. L’art des jardins est immortel ». Il subsiste heureusement encore des parcs bien tenus, témoins d’une époque historique, aussi, et la consultation du beau livre de Christine de Groote, Le Guide des jardins de Belgique, éd. Racine, 1997, ne peut que nous en convaincre. Le jardinage, à ce jour, offre un vaste champ d’action et développe diverses approches :  perfectionnement des outils de jardin, production de compost et de broyat, refuge du vivant sous diverses formes, retour de variétés oubliées, mise en place d’ombrages, pièces d’eau, association de fleurs, légumes, fruits et plantes médicinales, connaissance du rôle essentiel des animaux de jardin, oiseaux, mustélidés, vers de terre, bactéries, insectes, coccinelles et tant d’autres, pour une meilleure compréhension de la vie du jardin, si possible harmonieuse. Enfin, une attention bienveillante est portée aux variétés accueillant les pollinisateurs : abeilles, bourdons et papillons.

 

L’épicentre ucclois


Le Conseil d’administration du N.J.P. compte, en 1939, 22 personnes. 12 sont domiciliées dans la Région, 7 à Uccle, 1 à Ohain, à Tervueren et à Buysinghen. Le Comité de 6 personnes en compte 2 domiciliées à Ixelles et 4 domiciliées à Uccle.
Nom et adresse des personnes domiciliées à Uccle : Mlle Bodart, avenue Longchamp, 38-Me L.J. Buyssens, avenue Wellington, 16-Mr Danhier, rue des Eglantiers, 29-Me Grandmoulin, rue Crabbegat, 43-Mr L. Keyser, drève des Chalets, 25-Me Lefèbvre-Giron, avenue d’Hougoumont, 5-Mr de Vaucleroy, avenue Fond’Roy, 72 -Jules Buyssens, avenue Wellington, 16-Léon Van Hove, avenue Maréchal, 15-Me De Deken, square Brugmann, 27- Léon Debay, square Brugmann, 27. Observons que le rapport femmes / hommes au sein du Conseil d’administration était de 9 /9 en 1933, de 12 /7 en 1937 et de 12 /10 en 1939.

 

Peu avant l’agression


Dans la revue N.J.P. de l’hiver 1939, Pierre Louis Flouquet (1900- 1967), poète, peintre et critique d’art, consacre un article à l’exposition de Liège, traitant plus particulièrement des jardins. Il affirme que « L’architecture de jardin est un métier de poète autant que d’architecte
et ses créations englobent dans leurs rythmes les participations de nombreux artistes. »
Jules Buyssens rend hommage à son ami décédé, Henry Correvon, botaniste vaudois, auteur d’une trentaine d’ouvrages dont un atlas de la flore alpine, directeur de jardins botaniques et créateur d’un jardin d’acclimatation à Genève, aujourd’hui parc public. Le Bourgmestre de Bruxelles, Adolphe Max, patronna les travaux de J.B. au Heysel et inaugura la statue élevée au square Ambiorix, en 1919, en hommage à Max Waller de La Jeune Belgique. Il décéda le 6 novembre 1939. Le Comité dit son rôle décisif pour l’aménagement du plateau du Heysel et qu’il « tint crânement tête à l’occupant ».À son retour « triomphal » de déportation, des dizaines de milliers de personnes attendaient « sur la Grand Place et surtout dans les rues adjacentes ». Après la Brabançonne, elles entonnèrent « la Marseillaise, comme si cette dernière exprimait mieux l’enthousiasme de cette foule. » A. Max avait collaboré au quotidien le Petit Bleu sous la direction de Gérard Harry qui lui a consacré une plaquette intitulée Le Grand Bourgmestre. Il rappelle qu’en 1909, A. Max, parmi d’autres, est proposé comme bourgmestre au choix de Léopold II : « Il a été scruté de près et pénétré par le regard le plus sévère et le plus expert. Ce regard aigu a deviné, puis reconnu, chez le cadet des échevins, la conscience droite, ardente et ferme dont l’intuition l’élèvera bien mieux et plus vite que l’expérience de l’âge à la hauteur de tous les possibles devoirs. »

 

Notes

 

  1. La Drève Pittoresque, dénomination approuvée par le Conseil Communal le 26 06 1916. a-t-elle été dénommée de la sorte pour célébrer le N.J.P. ?
  2. Plantes invasives : le Buddleia ou arbre à papillons, originaire de Chine et très néfaste aux papillons. La verge d’or ou Solidago, originaire du Canada, se reproduit aisément grâce à de vigoureuses racines. La Berce du Caucase, provoque des brûlures de la peau. Une seule solution : l’arracher et la détruire.
  3. Domiciles connus de J.B. : à Bruxelles, en 1902, rue des Confédérés, 100, immeuble de 3 étages, en 1903, avenue de Cortenberg, 91, détruit. A Uccle, en 1931, avenue de Foestraets, 14, pépinières du Fort-Jaco, avenue Wellington, 16, bureau. Plus tard, avenue Fond’Roy, 77,  le jardin abrite un platane à feuilles d’érable, un hêtre pourpre, un chêne rouge d’Amérique, un charme commun. (Inventaire du patrimoine culturel).
  4. Jules Buyssens décède à Uccle le 15 avril 1958.
  5. L’avenue Jules Buyssens, à Woluwé Saint Pierre, joint l’avenue du Parc de Woluwé à l’avenue Louis Fucks.